Déserts médicaux : combiner les efforts ne suffit plus
Limoges dispose des attraits d'une agglomération dynamique : présence d'un CHU, d'une Université, employabilité facilitée du conjoint grâce à la densité du bassin économique, vie culturelle intense et offre sportive diversifiée, tissu économique diversifié.
Toutefois, comme l'ensemble du territoire national, elle souffre de la démographie sanitaire avec un vieillissement des professionnels de santé et le solde négatif entre départ en retraite et nouveaux diplômés. Cela se ressent principalement au niveau des spécialistes qui peuvent être en nombre restreint dans certaines disciplines.
L'une des solutions passe par le regroupement des pratiques professionnelles pour, à la fois, proposer un environnement plus sécurisé aux nouveaux praticiens et favoriser l'offre de parcours de soins coordonnés pour une meilleure prise en charge des pathologies chroniques.
C'est dans cet esprit que la Ville soutient les initiatives privées de professionnels de santé qui souhaitent grouper leurs activités au sein de Maison de santé. Ainsi, la Ville a aidé à la création du centre médical de Beaublanc en cédant du foncier à l'opérateur immobilier pour permettre le regroupement de médecins et d'auxiliaires médicaux avec une pharmacie et un opticien. D'autres projets sont susceptibles d'être pareillement soutenus à l'avenir à l’instar des maisons de santé. Le volet de la sécurité participe également à préserver un exercice serein pour le professionnel de santé. C’est ainsi que nous avons établi des processus de sécurisation des gardes de nuit, en coopération avec l’Ordre des médecins.
Limoges intègre désormais ces dimensions dans les projets qu'elle conduit au titre du Programme de Renouvellement Urbain (NPRU) dans les quartiers de la Politique de la Ville. Par ailleurs, depuis 2014, la Ville s'est investie en faveur de la réduction des inégalités d'accès aux soins en étendant l'aire d'intervention du Contrat Local de Santé à l'ensemble du territoire communal et en y englobant les problématiques de santé mentale afin de mettre en œuvre des actions concrètes dans une approche globale des pathologies. De plus, et afin d’améliorer l’accès aux soins des publics les plus fragiles, la Ville soutient l’activité du dispensaire animé par l’Ordre de Malte en mettant à disposition un local.
Il est donc possible d’être proactif à l’échelle d’une ville moyenne dans le domaine de la santé et de créer surtout des vecteurs d’attractivité pour accompagner ses praticiens de santé. En premier lieu, elle peut créer des conditions favorables à la protection et au bien-être de sa population. En matière de prévention et d’éducation à la santé, de nombreuses actions peuvent être initiées et dès le premier âge. C’est ainsi que nous avons mené plusieurs actions telles que la réduction du sel et du sucre ou usage du bon gras dans la restauration scolaire, un plan de réduction des perturbateurs endocriniens dans les crèches (ex : un plateau repas en porcelaine remplaçant celui en mélaminé) et les écoles mais aussi auprès de nos aînés avec le développement des thérapies non médicamenteuses dans les EHPAD, l’essor des clubs seniors municipaux avec une offre variée d'activités physiques pour tous les âges et pour lutter contre la perte d’autonomie. Nous nous sommes attachés à développer de nombreuses activités dans le cadre du sport-santé et de la santé sur ordonnance, ce qui vaut à Limoges d’être reconnue membre du réseau des Villes-santé de l’OMS en 2019. La prévention par l’éducation est pour moi la vraie dimension politique de la santé.
Nous agissons également pour réduire les risques allergiques par le choix des végétaux que nous plantons mais aussi grâce au Polynarium sentinelle dont nous nous sommes dotés.
En second lieu, il est parfois salutaire de considérer des enjeux qui commandent aux décideurs publics d’opter pour une vision investissant le long terme et la mémoire expérientielle. Je ne me féliciterai jamais assez de ne pas avoir cédé à ceux qui me recommandaient de fermer notre centre de vaccination municipal, au début de mon premier mandat. Nous ne pouvions certes pas imaginer à l’époque que nous connaitrions une pandémie mondiale telle que celle que nous vivons depuis deux ans. Mais lorsqu’en 2020, nous avons dû mettre en place le processus de vaccination à grande échelle, nous avons transposé nos protocoles et nous étions opérationnels immédiatement.
Je tire désormais, de mon expérience de praticien hospitalier et d’élu, plusieurs réflexions dans le domaine de la lutte contre les déserts médicaux. Si l’on veut éviter toute dérive mortifère et l’avènement d’une médecine fonctionnelle à 3 ou 4 vitesses, il faut bâtir d’urgence un plan d’actions systémique s’appuyant sur deux principes fondamentaux : l’égal accès aux soins et la continuité des soins.
La règle doit être que personne ne peut être à plus de 15/20 km d’un professionnel de santé. La téléconsultation a connu un essor inédit durant la pandémie mais nous restons très en retard en matière de e-santé. Devraient impérativement émerger partout sur le territoire des collectifs de santé qui sécurisent l’acte médical de proximité qu’il s’agisse du diagnostic ou de l’acte. La réalisation de points de suture par exemple ne justifie pas toujours de requérir l’intervention des urgences et l’avis du praticien hospitalier peut très bien conforter la réalisation de cet acte par le médecin généraliste.
De même, si le lieu d’exercice génère des contraintes propres à l’éloignement des centres de ressources, il faut compenser ces contraintes par un effort en termes d’encadrement. Ainsi, les internes de 6e années pourront utilement être mobilisés en zone rurale auprès des médecins généralistes en exercice, durant plusieurs années, si l’on sécurise leurs conditions d’exercice : missions, salaire, assurance.
Enfin, il est impératif de revenir à une organisation raisonnée des urgences et des gardes de proximité. Les urgences sont devenues l’avatar de l’organisation du système de santé. Plus on complexifie l’accès aux soins, plus on éloigne les patients des soins. La pénurie de moyens que cela induit dans certains quartiers, est même un facteur aggravant de violence et d’insécurité.
Ces principes de l’accès et de la continuité des soins ne peuvent que se définir au niveau national. Il faut les poser clairement dans le débat en établissement ce qui relève de l’organisation de la santé. Voulons-nous la poursuite du modèle ultra-libéral tel qu’il est en train de s’effondrer avec les avatars de la loi HPST ou un modèle de santé publique tel que réclamé par tous ?
Seule une organisation de santé publique est à même de permettre avec le courage politique qui doit l’accompagner, une organisation de l’offre en santé conjuguant proximité/accessibilité et continuité/permanence des soins. Des mesures contraignantes au minimum devront être prises, pour éviter les déserts médicaux, et compensées par un vrai pacte gagnant-gagnant.
Dès la sortie des études de médecine, un jeune diplômé doit être en droit de choisir. Mais l’équilibre global voire la survie de notre système de santé commandent désormais de responsabiliser durablement tous les acteurs et à tous les niveaux et de limiter le nomadisme individuel au profit de la sécurisation de nos structures.
Émile Roger LOMBERTIE
Maire de Limoges
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